lundi 12 janvier 2009

Francis Blanche


« ce garçon est vraiment très bien
il réussit à être drôle
avec un oursin dans la main ! »


Comédien, scénariste, auteur dramatique, humoriste et poète français,
né et mort à Paris (1921-1974)


Le Chêne Et La Tortue

Le chêne un jour dit à la tortue
Que vous êtes belle, que vous courez bien !
Votre voix qui m'est inconnue
Doit être aussi fraîche que l'air du matin
La tortue, alors secrètement flattée,
Aspira très fort et se mit à chanter
Et le lièvre dans le bois mouillé
Pour l'entendre, cessa de brouter.
Mais hélas la pauvre tortue
Ayant sans relâche chanté tout l'été
Se trouva toute dépourvue
A la fin d'automne sans rien à croûter
Elle alla trouver la cigale aux yeux verts
Poétesse cotée dont elle aimait les vers
Qui lui dit : "Non, j'ai ma locataire
La fourmi qui est dans la misère."

Alors le corbeau, le loup et l'agneau
Le coche et le chat et le souriceau
L'huître et les plaideurs
L'aigle et le chasseur
Décidèrent d'agir en sa faveur.

Et chacun s'en fut, l'âme émue
Faire à la tortue un présent discret
Le renard offrit en partage
un peu du fromage
Qu'il avait volé
Le grand chêne donna de ses glands par kilos
Le roseau donna la moëlle de ses os
Et le lièvre offrit à sa consœur
Une terrine de pâté de chasseur
La fourmi donna des myrtilles
Et le rat des villes quelques ortolans
La cigale enfin convaincue
Donna à la tortue la clé de ses champs
À sa cour, le lion donna un grand gala
Tous heureux de vivre, on rit et l'on dansa
Mais les hommes ne s'entendaient pas
Le jour même la bombe éclata
Du feu, du fer
Fumée dans l'air
Et ma fable s'arrête là.

Ça Tourne Pas Rond Dans Ma P'tite Tête

On vient d'renvoyer la bonne
paraît qu'elle volait des sous à maman
elle a pleuré comm' un' folle
crié qu'c'est injuste
et fait des serments
c'est moi qu'ai dit
qu'il l'avait vue
naturell'ment tout l'monde m'a cru
c'est pas vrai mais ça fait plaisr
j'sais pas c'que j'ai
j'aime bien mentir

{Refrain:}
Ça tourne pas rond
dans ma p'tit' tête
Des fois j'ai des drôles d'idées
C'est pas ma faute,
mais quand j'm'embête
Faut qu'je fasse des bêtises

J'aime bien casser 2, 3 vitres
Et faire croir' après qu'c'est les coups d'air
Avec une fourchette à huîtres
J'ai crevé un œil au chat de grand mère
Quand j'suis tout seul,
j'dis des gros mots
Et j'vide les bouteilles de porto
Je r'garde dans les livres défendus
Les photos des belles dames tout' nues
Paraît qu'avec d' la poigne
On peut m'corriger a dit le docteur
Faudrait qu'jaille à la campagne
Moi, ça m'plairait bien,
j'aime tellement les fleurs
Pour leur arracher les pétales
J'sais pas c'que j'ai j'aime bien faire mal
Depuis qu'mon p'tit frère s'est noyé
Et qu'on a dit que j'l'ai poussé

{Refrain:}
Ça tourne pas rond
dans ma p'tit' tête
Des fois j'ai des drôles d'idées
C'est pas ma faute,
mais quand j'm'embête
Faut qu'je fasse des bêtises

Nous N'irons Plus Au Bois

Nous n'irons plus au bois
Les lauriers sont coupés
La belle que voilà
Ira les ramasser
Nous n'irons plus à la fête
Le vent l'a toute emportée
Y a plus qu'un vieux manège
Qui veuille encore tourner

Entrez dans la danse
Voyez comme on danse
Tournez, tournez
Embrassez qui vous voulez
Embrassez donc votre cousine
Joli cousin aux yeux fous
Dansons la capucine
Y a plein d'amour chez nous
Mais y a trop d'gens qui nous r'gardent
Y a le marchand de lacets
Y a le bossu et y a l'gendarme
Qui dit : ”Défense d'aller au bois pour s'embrasser”

Nous n'irons plus gendarme
Vous êtes le plus fort
Cousin, versez une larme
Car notre amour est mort

Payez-moi une glace
Avec de la pistache
Achetez un lacet
Etranglez qui vous voulez
Et zigouillez le gendarme
Et zigouillez le bossu
Et faites pipi contre un arbre
Puisque nous n'irons plus

Nous n'irons plus au bois
Les roses sont tombées
La vieille que voilà
Ira les ramasser
Entrez dans la danse
Voyez comme on danse
Coupez, découpez
La chanson de notre enfance
Coupez, découpez
En suivant le pointillé

L'âge De Raison

La ville écrase la forêt
Pour y installer son décor
Sans songer au bruit que ferait
Le chant de tous les oiseaux morts
On cimente le paysage
On bétonne les horizons
Nous voici arrivés à l'âge
De raison

Le petit sentier de l'école
Est une autoroute à six voies
Qui mène à la piste d'envol
Où les Boeing hurlent de joie
Il y a du goudron sur la plage
Et du gas-oil sur le gazon
Nous voici arrivés à l'âge
De raison

On a piétiné les ballades
Et les refrains de nos printemps
On en a fait des marmelades
Pour des vieillards de dix-sept ans
Qui font sauter les pucelages
Avec des trognons de chanson
Nous voici arrivés à l'âge
De raison

Les décibels nous assassinent
Les scooters nous bouffent le coeur
Et la télé dans les cuisines
Nous explique notre bonheur
Quand on veut rêver, les nuages
Ont la forme de champignons
Nous voici arrivés à l'âge
De raison

Rien à faire, petit bonhomme
Mets ta tête sous l'oreiller
Grand-mère a bouffé une pomme
Et c'est à nous de la payer
Tiens-toi tranquille, reste sage
Enfoui au creux de ta maison
Et laisse, laisse passer l'âge
De raison.

La Dernière Rose De L'été

Une rose que l'on cueille
La dernière d'un bel été
Une rose qui s'effeuille
Avant même d'avoir été
Plus un chant dans le vent d'automne
Plus d'oiseaux dans les allées d'alentour
Et personne qui lui donne
La chaleur des anciens beaux jours

Une rose que l'on garde
La dernière d'un bel été
Une rose qu'on regarde
Souvenir d'un roman passé
On retrouve un matin d'automne
La couleur de la fleur trop tôt coupée
Mais personne ne redonne
Son parfum à l'amour fané.

Il était Un Petit Homme

Il était un p'tit homme
Tout habillé de gris
Qui s'appelait l'automne
Et revenait sans bruit dans la nuit
Semant devant lui des feuilles jaunies
Et des chansons de pluie
J'aime l'automne, j'aime l'automne
Et ses souvenirs de jadis

L'odeur des tabliers de la rentrée des classes
Parfum du tissu neuf et des cartables bruns
Et des plumiers de cuir et des marrons qu'on casse
L'odeur de l'encre fraîche sur les premiers bons points
Visages inconnus des nouveaux camarades
Mystère des cahiers que l'on ouvre en tremblant

Et les jeudis d'octobre aux courtes promenades
La nuit tombe trop tôt pour les petits enfants

Mais quand on retrouve dans le fond d'une poche
Un peu du sable de l'été
C'est bien ce jour-là quand on est un gosse
Que l'on apprend à regretter

Il était un p'tit homme
Tout habillé de blanc
Qui courait sur la plage
Derrière un cerf volant palpitant
Courait sous le ciel, courait follement
Après son âme d'enfant
Qui s'envolait, qui s'envolait
Qui s'envolait dans le vent.

Never More


Il n'y aura plus jamais de neige
Sur le chemin des étangs
Je veux parler de cette neige
De nos quinze ans
Il n'y aura plus jamais de brume
Dans le bois de chênes verts
Je veux parler de cette brume
De nos hivers

J'irai brûler des feuilles mortes
Dans le jardin de mes parents
Et puis je fermerai la porte
Sur mes amours d'enfant

Il n'y aura plus jamais de rires
Sur les sentiers ingénus
Je veux parler de tous ces rires
A jamais perdus.

On Les Aura

Regarde, regarde,
Regarde bien petit
Sur la façade
De la gendarmerie
Ces belles affiches qui chantent à pleine voix
Jeune homme, jeune homme, jeune homme, engage-toi !

Songe à la joie d'aller cueillir la gloire
Quand elle fleurit dans les pays lointains
Songe à la joie de ram'ner la victoire
Et de chanter avec tous les copains

On les aura ! On les aura !
On f'ra pleurer leurs femmes et leurs mères
Et ça coût'ra c'que ça coût'ra
Mais les salauds, nom de Dieu, on les aura !

Et toi, gentil soldat
T'auras toujours cet air aux lèvres
En attendant la croix des fièvres
Et la médaille du choléra

Regarde, regarde,
Regarde bien petit
Comment les braves
Se servent d'un fusil
Tu vises, tu tires, tu fais comme les copains
Si t'as d'la chance, ça tuera bien quelqu'un

Songe à la joie d'apporter l'espérance
A tous ceux qui seront encore vivants
Ecoute au loin rouler les ambulances
Et tes copains qui chantent comme avant

On les aura! On les aura !
On f'ra pleurer leurs femmes et leurs mères
Et ça coût'ra c'que ça coût'ra
Mais les salauds, nom de Dieu, on les aura !

Mais toi, gentil soldat
Tu n'verras pas pleurer leurs mères
T'auras le nez dans la poussière
Et tes copains seront plus là
Tu s'ras couché, gentil soldat
Dans le sillon de la rizière
Et les yeux blancs, tout pleins de terre
Cette fois, c'est toi qui les auras.

Alors on les a eus ...

Le berger

Le berger écoute le vent
Le berger compte les étoiles
Le berger regarde le temps
Grisailler son manteau de toile

Le berger confie son troupeau
A l'épaule de la montagne
Le berger joue de son pipeau
La voix du torrent l'accompagne

Mais par les longues nuits d'été
Couché, seul, sur le dos, dans l'herbe
Compagnon de l'éternité
Le berger
Le berger

S'emmerde.


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